Les gens ( vous, nous, tu ) n’ont pas forcément une image positive du métier de serveuse . J’avais donc envie de raconter mon expérience dans le domaine de la restauration.
Avec ses bons côtés, mais aussi ses mauvais…
Tout d’abord, laissez-moi vous présenter le contexte de la situation, qui fit que je me suis tout naturellement tournée vers ce métier ( oui métier, certains font carrière dans le service ).
2002. Je viens d’obtenir mon DUT de chimie par apprentissage non sans mal ( dispense de commentaires, grrrr ) et je découvre que dans le domaine, faut être sacrément couillu ( ce que je ne suis naturellement pas ) pour trouver un métier stable : soit tu déménages à 500 bornes, soit cette salope de réforme LMD te souffle que de toute façon, ton DUT y vaut pu rien parce que maintenant c’est bac+3 et tant pis pour ceux du dessous. Soit les techniciens chimistes y sont pas encore partis en retraite et les jeunes diplômés se retrouvent sans travail , tambourinant vainement à toutes les portes qui voudront bien s’ouvrir pour savoir pourquoi il n’a que ce mince cursus scolaire, parce que « merde quoi, ca coûte rien de faire une année de plus en licence professionnelle ».
Ben moi les études, j’en ai ma claque, pis de toute manière, j’ai eu mon DUT de justesse alors quelle école va bien vouloir prendre une cancrenesse pareille ?
Donc le monde du travail s’offre à moi. Sans la chimie bien sûr.
Postulage en règle dans des agences d’intérim qui n’ont soit rien en chimie, soit des missions à Trouduc-les-Coincoins
Mais c’est qu’il va quand même me falloir trouver du travail parce que j’ai mon crédit bagnole à payer moi !
D’abord feignasse, je trouve sur un site un petit couple habitant dans le coin qui aurait besoin d’une bonne âme charitable pouvant donner une heure de soutien scolaire à son rejeton. Well done. Je chope la balle au bond et donne donc les cours au môme. Mais ca paye pas des masses : 8 € de l’heure donc 40 boules par semaine. Faut que je trouve un travail à côté, parce que je veux pas abandonner le gamin à ses 18654*256 à faire sans caltoche.
Je passe alors devant une grande enseigne de restaurants arborant fièrement un grand panneau rouge : « BIDULE RECRUTE ». Ah ben tiens, ca tombe bien ,j’ai justement un CV dans le coffre qui demande qu’à être lu par autre chose que les visiteurs de ma plage arrière.
Je rentre dans le restau, confie mon précieux au barman et me tire, sans autre forme de procès.
On m’appelle le soir même me demandant de passer un entretien le lendemain.
Je vous passe volontairement les détails de l’entretien ( « j’adore les métiers de contact, blablabla, je sais que ca n’a rien à voir avec la chimie, gnagnagna, ca me fera une bonne expérience dans le domaine, patati, et en plus, ce que vous servez,c’est ‘achement bon – dixit la fille qu’a jamais foutu un orteil dans leur chaîne -].
C’est bon pour la m’zelle, mais contrairement à sa demande, ce sera à temps plein et pas partiel. Et toc.
Je découvre donc le métier et le restaurant par la même occasion. J’arrive à 10 heures et que fait-on quand on arrive à cette heure ? le ménage !
Branle bas de combat : « tiens, vlà ta tenue, v’là l’aspi et roule ! ».
Et vas-y que je t’aspire la moquette de la mezzanine, que je t’aspire les frites ( tiens, on bouffe des frites ici ?? ) laissées par terre au rez-de-chaussée , que je me tape les cuivres à lustrer, les vitres à nettoyer, mon amie la serpillère à passer dans tout le restau, et le redouté passage des chiottards qui étaient heureusement toujours en bon état ( sont gentils les clients, ils utilisent le balai à chiottes d’eux-mêmes ).
Tout ceci bien sûr en un temps record de….tadam.. 1 heure. C’est qu’il faut s’activer hein !
A 11 heures, c’est le repas du personnel…plutôt bouffe sur le pouce..tiens vlà une saucisse de francfort et de la salade congelée.. régale-toi. ( Les cordonniers sont les + mal chaussés comme on dit )
A 11h30, tout le monde en place pour le « brief » { bien plus hype que briefing..} : tu dois assimiler en 2 minutes entrée, plat et suggestion du moment ainsi que les ruptures de stock. Bien sûr, on m’a refourgué une carte des vins et des plats afin d’assimiler tout pour le lendemain ( assaisonnement, cuisson, caractère des vins etc..)
Définition des rangs : qui couvrira les tables de chaque partie de la salle… Personnellement, le responsable a dû tout de suite sentir mon besoin urgent de faire un régime puisque j’étais d’office collée en mezzanine.
Qui fait les « arrières » ? Cette tâche qui consiste à trancher de la baguette, à préparer les sauces dans des..saucières, et ceci en un temps record de deux minutes ? Pour le premier jour, c’est La Lu qui s’y colle ( ouaaaais !)
Ensuite, tu repasses « devant » ( la partie fréquentée par les clients) et là, tu attends le client.
Noooooooooon ! Surtout pas ! Si on te voit en train de rien glander, tu vas te faire engueuler ! Toujours trouver des trucs à faire : allez chercher des couverts en plonge, remettre des serviettes propres dans les consoles, vérifier sur tes tables s’il ne manque rien, si les salières et poivrières sont pleines etc…
Voilà ton premier client : hop, tu chopes ton bloc et tu leur sautes dessus :
« un petit apéro pour se réchauffer ? »
« non. »
Et tu repars toute piteuse. Ensuite tu les scrutes : si ils reposent leurs cartes, c’est qu’a priori, ils ont choisi. Et si ils mettent plus de 5 minutes ,cartes en main , à se décider, tu prends ton courage à pleine poigne et tu risques un
« je peux peut-être vous aider à faire votre choix, avez-vous consulté l’ardoise ? »
« non ».
Et là tu penses très très fort : « ah merde, moi non plus, me rappelle pu » et tu esquisses un sourire en fouillant les tréfonds de ta mémoire à ce qu’il y a d’écrit à cette saloperie d’ardoise.
Une fois la commande passée, tu vas taper ta commande sur un ordinateur et ceci en évitant de se gourrer dans les « menus », « formules », « à la carte » etc… c’est en gros un système très sophystiqué où les cuisiniers reçoivent un bon indiquant les entrées puis les plats qui vont suivre ( et quand vous leur donnerez le top départ pour les plats via l’ordinateur, ils s’y mettent ), le barman reçoit en même temps les boissons à confectionner, et la comptabilité est ainsi faite.
Ensuite, tu cours. Dans tous les sens.
« Merde, c’était quoi mon entrée pour la 25 déjà ?? »
« Fallait me dire qu’il y avait rupture de Sylvaner blanc ! »
Grands coups de latte dans la porte des cuisines, faut toujours bien regarder dans le hublot avant de cogner dedans. Ah flûte, y avait le responsable derrière, j’avais point vu ^^
Après maintes et maintes péripéties, en ce premier jour. Le service est bouclé à 15h30.
Reprise de souffle.
Les horaires, pour le coup, t’as envie de chialer.
Il y a différents créneaux horaires selon le nombre d’heures que tu dois effectuer par semaine. Le plus courant étant celui dit de « coupure » : 11h45-15h puis 18h45-23h30
Sauf que dans la restauration, ce qui est écrit sur le papier est loin d’être proche de la réalité !
Entre les clients « à terminer » ( ouais bon ca va hein ), les « arrières » à refaire en fin de service et qui consistent à jeter les sauces, garder le pain congelé, donner la baguette aux cuistots pour qu’ils en fassent des croûtons, et surtout, SURTOUT Ô BONHEUR : trier les serviettes sales une par une. Les vraiment dégueus sont assemblées et comptées, les « à peu près » dégueu sont soigneusement pliées pour en faire des liteaux ( les serviettes que tiennent les serveurs quand ils prennent des plats chauds pour éviter de se cramer les pattes )…
Sur les horaires, il y a vraiment de l’abus : il m’est arrivé de finir mon service à 1h30 du matin un samedi sachant que j’étais programmée à 23h30 sous prétexte que « putain Lucie, on est samedi soir alors tout le monde quitte plus tard !! » Sauf que je suis pas de fermeture , moi.
Au début, je voulais me rebeller, dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas , puis je me suis resignée à me faire avoir..
Il faut avoir terminé le service, en général, pour pouvoir partir et c’est là qu’on se rend compte de l’importance de l’esprit d’équipe !
Et qui forge cet esprit ? Les serveurs eux-mêmes donc tout le travail effectué dépendra de l’état d’esprit des coéquipiers, de CHACUN des coéquipiers. Il suffit qu’un serveur répande une rumeur sur une prétendue relation entre deux collègues pour mettre la pagaille ( c’est comme dans presque toute entreprise me direz-vous ) sauf que là, si ça remonte aux oreilles de la directrice, tous aux abris, et en particulier,les victimes des ragots.
Beaucoup sont partis dans les 2 semaines suivant mon arrivée car certaines choses se seraient passées avant. Au bout de 2 semaines, je suis passée à temps partiel car je n’arrivais décidément pas à assumer les cours du gosse + mon taff de serveuse.
Evidemment, quand je faisais la tronche pour effectuer une tâche alors qu’il était déjà 15h45 et que j’étais sensée quitter le travail à 15h, les responsables ( pas tous heureusement) de s’écrier : « tu t’en fous, t’es à temps partiel, pense aux temps plein !! »
Au début, ca me foutait en rogne mais finalement, un réel esprit d’équipe s’est instauré. Je proposais souvent à mes collègues « allez-y si vous voulez, je m’occupe du reste », « rentre chez toi, tes gosses t’attendent, dis à la responsable que je reprends ton rang ».. Et bien sûr, on me rendait la pareille ( enfin ca dépendait du serveur en question ).
Et on apprend à se faire confiance sur le travail effectué, car quelque chose de mal fait est rendu public, et sauf délation, tout le monde est incriminé. Egalement pour les pourboires : c’est uniquement à celui qui a servit la table de toucher ses pourboires, donc si son service est terminé avant que la table ne parte, on lui remet gentiment le lendemain la récompense de son labeur.
Pourquoi j’ai tenu 7 mois ?
Parce que je me suis attachée à certains membres de l’équipe, parce qu’ils avaient tous des caractères différents, parce que malgré nos incartades de la veille, il fallait se serrer les coudes le lendemain pour pouvoir assumer la charge de travail conséquente.
Parce que le contact avec les gens était un réel leitmotiv. Un homme âgé me rappelant atrocement mais si agréablement mon défunt grand-père me nommait « la belle Cendrillon », « Sissi l’impératrice ». Des gens souriants, parfois compatissants vis-à-vis de notre travail en période de forte affluence. Des habitués toujours prêts à parler de la pluie et du beau temps.. Un petit mot dans le livre d’or au sujet de leur serveuse si aimable, si souriante et c’est déjà une grande fierté.
Parce que ce métier nous apprend comment gérer des situations parfois cocasses ou au contraire très énervante.. Pouvoir rester maître de soi, parler, être diplomate, rapide, observateur.. Des qualités indispensables que nous ne possédons pas forcément à notre arrivée, mais qui s’imbriquent en nous…
Parce que même avec un salaire pas très mirobolant, on est fier d’avoir sa paye entre les mains malgré le sentiment d’injustice en regard de l’effort accompli.
Des anecdotes, j’en ai sûrement accumulé des milliers en 7 mois de travail. Il m’arrive d’y repenser en souriant, en faisant une petite moue, en pleurant….
La plus courante étant celle des personnes annoncant tout de suite la couleur « j’ai que 30 minutes pour manger » et toi tu trimes pour que monsieur ou madame soit satisfait et tu te rends compte qu’il reste une heure devant leur café à la fin du repas… Rageant…
« On espère pouvoir retomber sur une serveuse comme vous un jour… c’est rare, c’est tout à votre honneur… »
« Je demanderais une table dans votre rang à ma prochaine visite..j’espère que vous resterez ici longtemps pour avoir la joie de retrouver une serveuse si charmante et si aimable »..
Un couple de personnes agées arrive un jour et est placé à l’une de mes tables. « On n’a que 20 minutes alors va falloir aller vite. Nan chérie, tu prends pas ca. Mettez-lui ceci plutôt. »
Il va me plaire c’lui-là. De quel droit choisit-il le menu de sa femme ?
Je leur apporte leurs entrées. A peine leur dernière fourchettée en bouche qu’ils reposent leurs couverts et me regardent en insistant.
Ok, vous voulez jouer la rapidité , c’est parti.
Je leur apporte les plats, ils mangent ou plutôt dévorent sans déguster.
Quand ils m’annoncèrent leurs desserts, je leur demandai si ils désiraient prendre un café.
Je leur apportai alors desserts, cafés et addition en même temps.
Je pensais que le sieur allait se mettre dans une colère noire en découvrant mon petit jeu mais il n’en fut rien. Il chopa mon responsable par le bras en sortant [ Là j’ai goutté tout ce que je pouvais ] et lui dit « gardez-là cette petite ! », et moi de découvrir un énorme pourboire sur la table.
D’autres anecdotes au fil des jours…
CONCLUSION
Voilà, je sais que cet article est long mais il est très difficile de résumer en peu de lignes 7 mois de travail en contact direct avec les clients. Un travail souvent dénigré et mal vu car mal payé mais ô combien enrichissant et fatiguant.
Le contact, voilà ce qui m’a le plus plu. Parler, rendre service, écouter et servir. Rencontrer des personnes de paysages différents et savoir adapter son discours selon, sans en changer le contenu.
J’ai quitté ce travail peinée, épuisée mais satisfaite de mon expérience.
sympa votre expérience!!! très bien décrite, j’ai fait un remplacement ds un petit resto sympa et j’ai arrêté les frais, j’étais bien trop godiche, lol
j’ai été caissière en hyper en RP, côté dénigrement c très bien classé aussi!
de quoi écrire un livre mais ça a déjà été fait…
ce sont des métiers rigoureux pour lesquels il faut être vaillant, motivé, ps très regardant sur les horaires et la paie, et qui méritent plus de reconnaissance de la part des clients et des employeurs, depuis je fais mon « vrai » métier mais j’en garde les meilleurs souvenirs parce que c une école de la vie qui vaut bien des études…
ton homme est très courageux ! Il FAUT être passionné dans ce métier sinon on ne tient pas le coup !
Je trouve ça intéressant de savoir l’envers du décors si je peux dire.
Mon chéri travaille en restauration, il est en cuisine. Quand j’ai lu que tu parlais des horaires, j’ai tout de suite pensé à mon chéri, qui commence à heure fixe, mais ne sait jamais quand il aura fini. La restauration est un univers parfois difficile, mais qui apporte tellement quand on aime ça 😉
A bientot
Ok moi je bosse dans un restaurant » La pataterie «
une chaîne de poissons & fruits de mer ^^ et toi ?
absolument tous ! :p
Ton article représente très bien ce métier dont je fais partie depuis plus de 4ans maintenant… Et oui la vente m’a complètement abandonné lorsque j’ai commencé à travailler en restauration. Oui c’es pas tous les jours facile, c’est très épuisant, énervant par moment, faut se concentré, réfléchir, être super organiser pour gérer au mieux possible son rang et satisfaire les clients, mais je suis contente d’être serveuse au final. Au début aussi j’avais limite honte de l’être car beaucoup de personnes dénigrent ce métier, mais tant qu’on a pas travailler la dedans on peut pas savoir ce que c’est, et non ce n’est pas non plus un métier facile comme beaucoup le crois… A la fin du mois quand j’ai ma paye je bien contente, même si j’aimerais avoir plus par tout les efforts que je donne, tous les services que je rends à mon patron quand il en a besoin, mais si j’ai besoin de quelque chose, je l’ai en échange aussi ! Tous les métiers ont des contraintes, que se soit par les horaires ou autres… Et à la limite, comme j’ai toujours dis, je préfère être serveuse dans un restaurant que de bosser dans un Mc do.
Moi aussi je suis dans une grande chaine, tu étais dans quel restaurant toi ?
T’as terminé beaucoup de clients? 🙂